In GFEN (2001). Repères pour une Education nouvelle. Enseigner et se former. Lyon : Chronique sociale (pp. 111-115)
Utopie est un mot forgé sur le grec1 par Thomas More dans un ouvrage parue en 1516, et désigne un pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux. Ce mot a depuis fait fortune et est employé tour à tour comme synonyme de chimère, illusion ou d'anticipation qui demain sera réalité.
Beaucoup d'utopies ont fait l'histoire. L'opiniâtreté d'un Christophe Colomb à démontrer un autre possible élargit l'horizon de l'humanité du XVème siècle. Erasme dans Eloge de la folie, contribue à la construction de l'esprit de tolérance. Le débat ouvert par Bartolomé de las Casas oblige à une réflexion juridique sur l'esclavage et la liberté naturelle des hommes, et à des expériences originales dans les "réductions" du Paraguay. Lorsque Montesquieu trace les grandes lignes de ce que pourrait être l'équilibre des pouvoirs, il ouvre la voie à un des fondements de la démocratie.
Dans le champ qui nous intéresse plus particulièrement, la première des utopies n'est-elle pas celle du sculpteur Pygmalion qui rêve si fort de sa créature qu'il lui prête vie, mythe qui donne lieu à la théorie des attentes dont on sait le rôle fondamental qu'elles jouent dans l'éducation ? Plus tard, la lettre de Gargantua a son fils Pantagruel dresse un tableau chimérique de ce que pourrait être une éducation humaniste mais où apparaît un enthousiasme pour la connaissance qui a fait son chemin 2. N'est-ce point Rabelais qui, par ailleurs, déclare que les enfants ne sont pas des vases à remplir mais des feux à allumer ? Dans l'Emile 3, Rousseau prône une éducation qui fait appel à l'expérience, où l'enfant s'apprend lui-même, qui éveille la curiosité et où le "guide" recourt sans cesse à l'artifice pour mettre l'élève dans les conditions de la nature. Mais par dessus tout, il déclare "Faites-en vos égaux afin qu'ils le deviennent" !
L'utopie représente un âge d'or, certes mais c'est surtout un ailleurs, un a-venir, un en-dehors du cadre. Elle est alternative à un impossible déclaré comme tel et accepté comme tel, résistance à la fatalité, refus du fait accompli, de l'évidence. Si le cri de 1968 : "Soyez réalistes, demandez l'impossible" 4 fait sourire, il n'empêche que toute l'invention et la création, depuis Michel-Ange et ses machines volantes jusqu'à la théorie des quartz repose sur cette idée que, pour reprendre l'expression de Gaston Bachelard "On n'a jamais bien vu le monde, si l'on n'a pas rêvé ce que l'on voyait".
Nos utopies d'éducateurs et d'enseignants c'est de faire le pari des infinies capacités de l'être humain et de nous lancer tous les jours des défis à relever et à transformer en réalité.